Dans le miroir, les premières rides étaient apparues. Son regard, jadis pénétrant et mystérieux, s'était définitivement tue. Aucune aura ne transparaissait désormais, il était devenu l'ombre de ce qu'il avait été. Sa trentaine était encore loin, mais son cœur avait vieilli depuis longtemps déjà. Sa jeunesse s'était évanouie au fur et à mesure qu'apparaissaient, de ci de là, quelques cheveux blanchie. La fatigue et la douleur s'étaient durablement emparées de son âme aussi sournoisement que le poison dans son sang nécrosé. Qu'était-il devenu, un homme aigri, éteint, sans courroux mais sans espoir. Alors que se dessinait encore devant lui un long avenir, le soleil s'était voilà derrière de lourds orages. il n'avait plus vu le ciel, et d'ailleurs ils ne se parlaient plus.
Envolés les rêves et les espoirs, ses illusions s'étaient dissipés comme des mirages. un long chemin se dessinait à l'horizon, un désert plus long encore que le précédent. Il se perdrait peut-être en s'y engageant, il s'était de toute façon perdu depuis longtemps. Seul face à son propre désespoir, il s'était regarder s'éteindre sans sourciller. Trop de temps était déjà passé, il en faudra encore plus pour se retrouver. mais qu'importe ce que lui coûte cette course au ralentit.
Alors, ce visage presque étranger qui le toisait à travers ce reflet patiné qui le fixait depuis de longues minutes déjà, il s'y habituera, comme il s'était habitué à la solitude de son âme et de son esprit, de cette vie toute entière qu'il traversait à coup de pourquoi. Les bras ballant, il soupira, et dans un ultime sursaut de fierté, détournait le regard de cet homme qu'il ne reconnaissait plus. Ainsi allait chaque matin, quand, se rasant et revêtant son uniforme, il affrontait le miroir de sa vie, qui lui rappelait, incessant, ce qu'il avait raté: lui.
La solitude ne s'écrit qu'avec un seul L, comme pour lui rappeler qu'il avait perdu les siennes sans s'en apercevoir.
Le café froid de la veille attendait son heure, il avait bien entendu perdu toute sa saveur, comme cet homme qui avait perdu le goût des lendemains. Le téléphone restait désespérément silencieux, seuls raisonnaient au loin les avions qui décollaient, emmenant leurs passagers, ivre d'un bonheur qui le faisait vomir, vers des destinations lointaines, qui ne le faisait plus rêver. Il aurait aimé être au fond de l'océan, là où ne règne plus qu'un abyssal silence, celui qui empreinte ses lettres de noblesses à la solitude tourmentée des profondeurs. Seul l'appel du large lui rappelait les bons moments, celui où, pendant quelques dizaines de minutes, le détendeur dans la bouche, les bulles de ses expirations l'accompagnaient dans ses pérégrinations solitaires autour de récifs coralliens qui se mourraient déjà, mais dont les quelques vagues nuances de couleurs n'ayant pas encore sombrées, lui ravissaient à la vue.
Il chassa ces souvenirs de son esprit, les fantômes du passé n'étaient bons que pour ceux qui savaient encore en créer de nouveaux. Sa tasse de café encore remplie de la veille à la main, il sonda le coffre-fort du salon où était rangé son arme de service, une balle chambrée, prêt à servir. Il ne le fermait jamais, ni ne sécurisait son arme. Il le chaussa machinalement dans son étui à la cuisse. Son arme était pour lui, plus qu'un moyen de défense et un atout pour, sinon charmer, prendre plus d'assurance avec les femmes qu'il rencontrait, son ultime recours si les ténèbres venait à s'immiscer davantage encore dans sa vie. Aller au travail était le seul moyen pour s'évader de son quotidien si maussade. Il cumulait les heures, hantait sa brigade, et figeait un sourire de plâtre sur son visage pour se donner bonne conscience. S'il n'était utile qu'à une chose, faire bien son travail, autant le faire à fond, et ses supérieurs, loin d'être au courant de son état détestable, reconnaissaient en lui tout les atouts d'un bon coéquipier, sachant s'investir dans ses missions et ne comptant pas les heures, et refusant à loisirs les permissions et les repos pour une excuse bien trouvée d'une enquête à terminer. C'était son seul moyen, et il le savait, de rester un minimum en vie. Cela faisait quelques mois qu'il avait trouvé ce travail, côtoyer au quotidien le monde de la sécurité et de l'aéronautique, une passion tuée dans l’œuf depuis longtemps.
Mais au travail, il n'était plus le même homme, cette ombre lancinante qui le suivait restait au placard, le temps d'effectuer son service. Et puis, lorsque la journée se terminait, qu'il rejoignait son petit studio, il renfilait sa véritable tenue de l'ombre en même temps qu'il enlevait son uniforme. C'était une transition toujours douloureuse, impitoyable et qu'il tentait toujours de repousser jusqu'au dernier moment. Une douche brûlante retenait en sursis quelques minutes ce boulet qu'il traînait, verrouillé à ses pieds, et qu'il avait cessé de ronger. Il oubliait les rires de ses collègues déclenchés par ses calembours et autres jeux de mots et d'esprits.
Car loin d'être heureux, c'était une jeune homme brillant et intelligent. Mais cet atout était un fardeau lorsqu'elle lui apportait des réponses que peu de gens voudraient connaître. Lorsqu'il comprenait le monde qui l'entourait avec une rare perspicacité, et qui lui avait ôté tout espoir en son espèce, et, au fond, en lui-même. Ce manque de confiance en lui l'avait mené à être célibataire depuis de longues années déjà, et l'envie de partager sa vie se mêlait avec acidité avec l'amertume de partager ses tristesses et sa vision du monde. Son incapacité a accepter le bonheur, à fuir les complaisances de la vie et ces petits moments de joies qui ponctuaient la vie et donnaient le sens à toute une existence, cette incapacité chronique à sourire à la vie l'avait mené à faire échouer sa précédente relation volontairement. Il l'avait poussé à bout, dans ses derniers retranchements, et avait brillamment réussi. Il ne s'était jamais caché qu'il se pourrissait la vie à longueur de temps, lui qui n'avait qu'a se pencher pour cueillir les conseils précieux qu'il prodiguait avec rigueur et grand soin à ses quelques proches amis, mais dont il avait toujours été incapable de les appliquer à lui-même. Il savait qu'il n'y avait qu'en étant malheureux qu'il comprenait aussi bien le monde, qu'il était aussi efficace au travail. En couple, il n'arrivait pas à se détacher, à couper les ponts avec son quotidien, là où il y arrivait si bien aujourd'hui. Il vida sa tasse de café froid qu'il n'avait pas touché, se contentant de la trimballer avec lui dans son studio.
Il alluma machinalement son ordinateur, ses trois écrans s'allumèrent les uns après les autres. Il vérifia rapidement ses mails, avant de répondre à quelques statuts sur les différents réseaux sociaux qui écoutaient d'une oreille distraite et inattentive ses états d'âmes. Il les écrivait sans rien attendre en retour, en sachant même qu'ils n'étaient pas lu. Mais ces appels de détresses aussi bien dissimulés qu'une revue érotique dans la chambre d'adolescent n'interpelait personne. Mais il le savait, et ils n'avaient que la prétention d'exister, de prétendre à vouloir partager ce que personne n'avait encore réussi à percer chez lui.
Sans même éteindre sa tour de contrôle, comme il l'appelait, il pris ses clefs de voiture et se dirigea vers la porte d'entrée, ne prenant qu'un petit pain au chocolat comme unique petit-déjeuner, qu'il rangea machinalement dans sa poche cargo de sa jambe droite.
Il ferma sa porte d'entrée, et se dirigea avec vigueur jusqu'à l'entrée du bâtiment pour rejoindre ses collègues. Dix minutes d'avances, comme d'habitude, le temps de papoter avec ses différents camarades avant d'entamer une nouvelle journée de service. Peut-être une cigarette, si on lui en offrait une. Il avait arrêter de fumer depuis plusieurs mois déjà, mais il n'en refusait jamais une. Moins par plaisir de fumer, il avait maintenant une cigarette électronique lourde et grosse comme une branche, mais surtout pour partager un instant convivial autour d'un café avec un collègue, le don d'une cigarette dans la société reflétant une position privilégiée pour le receveur, le paquet de goudron en or coûtant plus cher qu'un plateau-repas. Mais à l'entrée du bâtiment aujourd'hui, point de fumeur. Il se contenterait de bavarder avec le premier opportun qui passerait, plaçant savamment une blague sur la dernière actualité, ou faisant partager son très mauvais don pour la chanson française. L'homme qui, cinq minutes avant, était aussi dépressif qu'un chêne mort en plein milieu de l'hiver, avait revêtit son masque de fortune, et affichait un sourire à toute épreuve. Il était devenu le bout-en-train, le joyeux rigolard, le camarade prêt à tout pour faire rigoler tout le monde.
Ainsi allait sa vie, d'une humeur à l'autre, suivant l'activité qu'il faisait. Lorsque la déprime n'était pas à son paroxisme, il s'autorisait à aller faire un tour en avion, un gros porteur de préférence, sur son ordinateur dernière génération, avec le simulateur qui avait épuisé toutes ses économies. C'était un des rares petits plaisirs qu'il s'autorisait.
Et les journées étaient ainsi faites, depuis des mois, et chaque jours ressemblant au précédant, à cela prêt qu'il était un peu plus difficile à vivre que la veille.